Les trois métaphores du symptôme
dans la phobie, l'hystérie et la névrose obsessionnelle

à propos de la première de ses œuvres qu'il venait de terminer, celle de l'interprétation des rêves, Freud écrivait, il y a maintenant bien longtemps, à Fliess : "Mon travail a été entièrement dicté par l'inconscient, suivant la célèbre phrase d'Itzig, le cavalier du dimanche : "Où vas-tu Itzig, l'interroge-t-on, Je n'en sais rien, demande à mon cheval " (1). C'est donc ainsi avec l'aide de cette métaphore que nous pouvons définir ce qu'est une énonciation.

Celle-ci étant ainsi posée, en les opposant à la fraîcheur de toute énonciation que pouvons nous faire désormais de tant d'énoncés de Lacan le plus souvent arrachés de leurs contextes?

Vous en connaissez un certain nombre : " L'inconscient est le discours de l'Autre", "Il n'y a pas de rapport sexuel", "l'analyste ne s'autorise que de lui même" et je ne vous épargnerai pas celui du "signifiant qui représente le sujet pour un autre signifiant".

Comment donc redonner toute leur verdeur d'énonciation à tous ces énoncés qui pour nous sont en grand danger de faire ritournelle. Il n'y a qu'un seul chemin possible, par la voie du transfert, en prenant appui sur ces énoncés, chaque analyste doit se risquer à soutenir ses propres énonciations, celles qui s'inventent avec ses signifiants inconscients.

C'est donc ce que je vais tenter de faire en replaçant dans son contexte qui est celui de "l'instance de la lettre dans l'inconscient", cet énoncé de Lacan "Le symptôme est une métaphore et ce n'est pas une métaphore que de le dire " (2)

Ce texte de Lacan qui se trouve dans les Ecrits pose de façon ferme et rigoureuse ce que sera la transposition des deux figures de rhétorique que sont la métaphore et la métonymie du champ de la linguistique à celui de la psychanalyse. Je ne compte pas ici, dans le cadre imposé de notre petit quart d'heure d'exposé, en faire une lecture ligne à ligne.

J'ai simplement isolé trois fragments de ce texte qui définissent le symptôme comme une métaphore.

La première citation que je vous proposerais montre comment c'est par la voie de la métaphore que se créent les liens entre le signifiant et le signifié.

Donc sur une assise qui est métonymique, si on définit ainsi l'ordre diachronique d'une phrase, "c'est dans la substitution du signifiant au signifiant que se produit un effet de signification qui est de poésie ou de création autrement dit de signification".

A propos de cette définition de la métaphore je voudrais faire deux remarques :

Tout d'abord ce signifiant qui vient se substituer à l'un des signifiants de cette chaîne du discours, de cette phrase grammaticale, vient d'ailleurs, d'une autre chaîne, de la chaîne inconsciente, celle que Lacan appelle la chaîne de l'énonciation.

Deuxième remarque : Cette définition de la métaphore comme substitution d'un signifiant à un autre signifiant comme provoquant seule des effets de signification, établit, il faut le souligner, une coupure radicale entre le champ de la linguistique et celui de la psychanalyse.

Elle remet en effet en question le rapport du signifiant et du signifié, terme à terme, tel que le pose l'algorithme de Saussure, Signifiant sur signifié.

Un homme rencontré par hasard m'a raconté un rêve qui est un bel exemple de métaphore. Il l'a analysé tout seul en suivant, dit-il la méthode de Freud.

Voici son rêve : "J'étais debout dans ma cuisine et je n'arrivais pas à allumer la cuisinière". Alors je me suis dit voyons, la cuisinière c'est un symbole féminin. Et je me suis brusquement rappelé que je vivais, à ce moment là avec une fille que je n'arrivais pas à enflammer. Et pour justifier les chemins qu'il avait pris pour interpréter son rêve, joignant le geste à la parole, il rajouta on dit bien "Il y a du monde au balcon".

L'énoncé de ce rêve et son énonciation faite par le rêveur peut me permettre une nouvelle énonciation, mais ce ne peut être que la mienne.

Suivant donc mon propre fil, nous pouvons donc supposer que cette métaphore qui est celle d'un rêve aurait pu devenir, bien sûr après analyse, la métaphore d'un symptôme, encore qu'on ne sache lequel, si c'est celui de l'impuissance d'un homme ou celui de la frigidité d'une femme.

Elle me permet cependant de poser, de fil en aiguille, la question de la différence qu'il y a entre la métaphore d'un rêve et celle d'un symptôme.

C'est dans une lettre de Freud adressée à Fliess que j'ai trouvé la réponse. Il lui écrit en effet : "Ce n'est pas seulement le rêve qui est réalisation de désir mais aussi l'accès hystérique... je crois savoir maintenant par quoi se distingue le rêve du symptôme qui s'institue à l'état de veille. Puisque le rêve est maintenu loin de la réalité, il lui suffit d'être la réalisation de désir d'une pensée refoulée. Mais le symptôme, lui mêlé à la vie, doit être autre chose : la réalisation de désir de la pensée refoulante. Un symptôme apparaît là où la pensée refoulée et la pensée refoulante peuvent coïncider dans une réalisation de désir... le symptôme représente la réalisation de deux désirs contradictoires. (3)"

Si nous revenons sur le rêve de cuisinière, en quoi pouvait-il y avoir pour cet homme réalisation de désir? Il se pourrait bien qu'il soit dans la seconde métaphore qui lui était venue à l'idée pour interpréter son rêve. Pas de problème il y avait du monde au balcon Tout coulait de source et en abondance. Il était revenu au pays du lait et du miel et il n'était donc pas encore obligé de se mettre aux fourneaux, de se donner du mal pour séduire et faire jouir une femme.

Que devient cette définition du symptôme comme l'expression de deux désirs contradictoires qui se condensent en une même formulation si nous abandonnons la métapsychologie freudienne pour l'approche qu'en a faite Lacan avec l'aide de la métaphore et de la métonymie.

Voici la définition qu'il nous en donne à son tour :

" Le mécanisme à double détente de la métaphore est celui-là même où se détermine le symptôme au sens analytique. Entre le signifiant énigmatique du trauma sexuel et le terme à quoi il vient se substituer dans une chaîne signifiante actuelle, passe l'étincelle, qui fixe dans un symptôme la signification inaccessible au sujet conscient où il peut se résoudre".

Dans cette définition que je viens de vous donner, entre le symptôme et sa signification, Lacan a intercalé une parenthèse entre tirets. Je j'ai élidée, pour simplifier la compréhension de cette phrase et je la restitue maintenant : le symptôme - métaphore où la chair ou bien la fonction sont prises comme élément signifiant -

Le symptôme est donc une métaphore où un morceau de corps - la chair ou la fonction - est pris. C'est aussi en cela que la métaphore du rêve et celle du symptôme se différencient.

Autre élément important de cette définition, quel est ce signifiant énigmatique du trauma qui vient se substituer au signifiant présent dans une chaîne actuelle du discours pour constituer la métaphore ? D'où vient-il ?

On peut dire qu'il constitue une trace de la participation du sujet à la scène primitive, la façon dont elle s'est inscrite pour lui, avec tel ou tel signifiant pulsionnel.

Rappelez - vous, à titre d'exemple, le rêve de l'Homme aux loups, celui où, à quelques jours de Noël, il espérait recevoir beaucoup, beaucoup de cadeaux de la part de son père, c'est alors qu'avait soudain surgi, multiplié par sept, son animal phobique, son animal totem, le loup.

Ce signifiant énigmatique du trauma, on peut aussi l'appeler le signifiant métonymique du désir, celui qui s'inscrit dans le souvenir écran et qui marque le rapport de chaque sujet à cette mauvaise rencontre qu'à constitué pour lui la découverte de la castration de la mère et donc, par voie de conséquence, celle de la sienne réactualisée.

Ce signifiant traumatique est la trace d'un événement d'ordre sexuel mais il n'est pas pour autant toujours de l'ordre du viol ou de l'attentat sexuel. Encore que cela soit possible.

J'ai choisi trois exemples empruntés à Freud, un symptôme hystérique, obsessionnel et phobique.

Le premier donc se trouve dans l'une des lettres de Freud à Fliess et illustre justement l'existence de ces deux désirs contradictoires qui collaborent à la formation du symptôme

Freud écrit "Sais-tu pourquoi notre ami E. rougit et transpire dès qu'il rencontre une certaine catégorie de personnes qu'il connaît surtout quand il les rencontre au théâtre".

On repère d'emblée dans cette description ce que je vous en disait tout à l'heure, comment le corps (la chair ou la fonction) est partie prenante dans le symptôme et Freud poursuit :

"Il a honte c'est vrai. Mais honte de quoi?".

Il a honte d'un fantasme de défloration mais aussi de vengeance qui peut se traduire ainsi : "dire que cette oie stupide s'imagine que j'ai honte devant elle ! si seulement je l'avais dans mon lit, elle verrait si je la crains!"

Dans les faits, il est difficile de reconstituer les termes de la métaphore de retrouver les signifiants qui se sont substitués l'un à l'autre pour former ce symptôme parce que justement Freud l'interprète dans l'autre sens, du signifié au signifiant.

Par exemple, Freud nous indique que la salle de théâtre est venue évoquer une salle de classe, où il avait eu nous dit Freud une controverse avec son professeur de latin à propos de cette expression latine "operam dare". A première vue on se demande pourquoi. Où était le problème? Je pense justement que c'est cette expression latine qui est à la base de sa métaphore symptomatique.

Il existe en effet deux mots latins très proches, l'un est au neutre, opus, operis, et signifie l'oeuvre, la réalisation d'une œuvre, tandis que l'autre nom qui est au féminin opera, operae, se traduit par la peine le travail, la peine que l'on prend pour réaliser un travail. C'est donc autour de ces deux termes que devait avoir eu lieu le litige avec son professeur.

C'est là qu'est l'équivoque, il se donne du mal, il transpire, vulgairement, nous pourrions dire, en français, il besogne une femme. Peut-être s'est-t-il en un temps lointain besogné lui-même.

Mais puisque le symptôme hystérique exprime toujours un double fantasme, un fantasme sexuel masculin et un fantasme sexuel féminin, nous pouvons retrouver cette composante féminine de son symptôme hystérique, avec cette œuvre qu'il pourrait mettre lui-même au monde, auquel il pourrait donner naissance. On dit bien d'une femme qu'elle s'est trouvée enceinte de ses œuvres. Il me semble qu'on le dit de la Vierge Marie.

Pour que la description de la métaphore du symptôme que nous donne Lacan tienne il faudrait peut-être que nous rajoutions au texte de Freud, le fait qu'il rougissait et transpirait en présence de femmes lorsqu'il assistait à une œuvre théâtrale ? La métaphore se fabriquant alors en substituant à cette œuvre ces deux mots latins équivoques, de l'opus et de l'opera.

Il doit être rare de nos jours de découvrir un symptôme fabriqué avec une formule latine celle de "operam dare", se donner du mal , s'échiner.

Mais remarquez que le rêve et le symptôme de ces deux hommes que je viens de vous décrire se rejoignent de curieuse façon, ils décrivent tous deux les difficiles rapports d'un homme avec une femme et surtout le désir qui s'y exprime est un désir mis en suspens, non réalisé.

Qu'en sera-il maintenant du désir de l'Homme aux rats, celui qui s'exprime dans sa métaphore symptomatique ?

Je ne peux bien sûr que vous rappeler quelques éléments de son histoire nécessaire à ma démonstration(4).

Un jour de grandes manœuvres militaires, l'Homme aux rats avait perdu son lorgnon et il en avait aussitôt commandé un autre qui devait lui arriver de toute urgence par la poste. Or ce jour là deux circonstances favorisèrent la mise en place de sa métaphore symptomatique : D'une part un "capitaine cruel, partisan des châtiments corporels dans l'armée raconta un supplice pratiqué en orient. Des rats affamés était introduit de force dans l'anus d'un supplicié. D'autre part ce même capitaine l'avertit qu'un certain lieutenant A avait acquitté pour lui le montant de sa dette au moment de la réception de son lorgnon".

Les deux signifiants Rate, Raten, écrits soit avec un t soit avec deux t, circulent donc dans la chaîne signifiante actuelle. Avec un seul t ce sont les rats avec deux t Ce sont des dettes de jeu, dettes contractées jadis par son père.

C'est à partir de cette double rencontre que se met en place son grand scénario obsessionnel qui se formule ainsi : " Si je rends l'argent au lieutenant A., alors mon père et ma dame subiront le supplice des rats". Mais aussitôt s'établit pour lui ce commandement "ne pas rendre l'argent au lieutenant A".

Et à ce propos Freud décrit ce mécanisme spécifique du symptôme obsessionnel qui le différentie de l'hystérie : "Au lieu de trouver comme c'est régulièrement le cas dans l'hystérie, un compromis, une expression pour les deux contraires (tuant pour ainsi dire deux mouches d'un seul coup) les deux tendances contradictoires trouvent ici à se satisfaire l'une après l'autre, non sans essayer, bien entendu de créer entre les deux un lien logique, souvent en dépit de toute logique".

Voici donc comment se constitue la métaphore du symptôme de l'Homme aux rats autour d'une condensation de quatre signifiants.

Outre les deux premiers déjà posés, un troisième va apparaître très rapidement, le verbe Heireten qui se traduit pas se marier.

Et nous apprendrons dans le cours de son histoire qu'il ne peut en effet se marier avec sa dame pour plusieurs raisons, la première est qu'elle le dédaigne, elle n'a aucune envie de se marier avec lui.

La seconde raison est le fait qu'elle est pauvre et que son père aurait donc désapprouvé son mariage,

et enfin, troisième raison, elle ne peut lui donner d'enfant, elle a été opérée d'un ou de deux ovaires, lui-même n'en sait rien et surtout ne veut rien en savoir. Ces enfants rats qu'il ne pourra jamais avoir, tout au moins avec elle, nous les retrouverons au terme du déchiffrage de son scénario obsessionnel.

Après bien des détours, Freud réussit à déchiffrer ce grand et complexe symptôme obsessionnel en retrouvant les signifiants pulsionnels de son érotisme anal ainsi que les théories sexuelles infantiles selon lesquelles les femmes aussi bien que les hommes pouvaient avoir des enfants et qu'ils accouchaient par l'anus.

Ainsi ces rats affamés qui dans ce supplice étaient entrés de force dans l'anus, étaient ces gentils petits enfants rats, nombreux de surcroît que lui-même, à défaut de sa dame, pouvait mettre au monde.

Mais nous ne connaîtrons le fin mot de cette histoire qu'en retrouvant, ce qui avait été méconnu par Freud, le noyau hystérique de sa névrose obsessionnelle, qui s'exprime dans son fantasme fondamental, celui que j'ai appelé le fantasme des deux femmes gigognes. Il voyait sa cousine, qui était sa dame, dans le corps de sa tante, entrain de subir un accouplement. C'était un typique fantasme de prostitution et à cette occasion nous découvrons le signifiant profondément enseveli cause de son symptôme qui est le verbe retten, sauver. Il veut sauver sa dame, la sauver de la prostitution (5).

Dans l'hystérie, la métaphore du symptôme est à peine masquée, elle se déguise, mais s'arrange quand même pour être reconnue.

Dans la névrose obsessionnelle, elle est profondément ensevelie, il faut aller la chercher très loin. Il faut aller de métaphore en métaphore pour réussir à retrouver celle qui était en cause, au niveau du noyau hystérique de la névrose obsessionnelle.

Cette métaphore du symptôme est éclatante, pour ne pas dire triomphante dans la phobie. A propos du petit Hans, Lacan parle du cristal signifiant de sa phobie, c'est ce cristal qui est symptôme.

Mais l'intérêt de la métaphore de la phobie tient aussi au fait qu'il met en évidence, presque à découvert, la présence de ce signifiant traumatique, de cet objet métonymique, qui vient occuper cette place prépondérante dans sa phobie, ce cheval caracolant, qui vient se substituer à l'image paternelle, elle, pas très chevauchante dans la représentation de la scène primitive du Petit Hans.

Je vais maintenant vous dire ce qui me faisait difficulté dans ce texte de Lacan, l'instance de la lettre dans l'inconscient et qui est donc la raison de ce travail.

Lacan pose dans ce texte que le symptôme est une métaphore tout comme le désir est une métonymie. Or, comme il soutient aussi que le symptôme est la manifestation d'un désir, il fallait donc trouver une façon de lier la métaphore et la métonymie pour rendre compte de ces deux approches.

Je soutiens donc que c'est ce signifiant traumatique qui est la métonymie du désir venant de la chaîne signifiante inconsciente.

"cette chaîne, écrit Lacan, qui insiste à se reproduire dans le transfert et qui est celle d'un désir mort. C'est la vérité de ce que ce désir a été dans son histoire, que le sujet crie par son symptôme... "

Si c'est un désir mort, il faut donc, par l'interprétation du symptôme, lui redonner vie. C'est tout le travail de l'analyse.

Deux questions restent pour moi en suspens et donc à travailler.

- Cette évocation d'un désir mort qui se trouve entrer en contradiction avec ce qui est toujours décrit de la persistance du désir qui se maintient intact envers et contre tout.

- D'autre part la nature de ce signifiant traumatique qui entre dans la composition du symptôme qui a rapport avec le complexe de castration, qui a affaire avec le réel.

Notes

(1) - Page 229 "Naissance de la psychanalyse".

(2) - Ecrits, pages 518 et 528

(3) - page 247, Op.cit.

(4) - Cinq psychanalyses

(5) - Journal de l'Homme aux rats.

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